Fête du Corps et du Sang du Christ 2022
Fête du Corps et du Sang du Christ 2022
Grand picnic avec Jésus aujourd’hui dans l’évangile, et pour une grande foule de 5000 personnes. La fête du Corps et du Sang du Christ, appelée autrefois la Fête Dieu, nous l’imaginons tout de même avec une toute autre solennité. Les anciens se souviennent des processions, du Saint Sacrement, des pétales de fleurs ou des branchages sur les façades des maisons à la campagne. Rien n’était trop beau pour honorer le Corps du Christ. Alors quoi… un picnic, une vénération ? quand même !...
Nous dirons une préparation : dans l’évangile, Dieu continue à nourrir son peuple comme il l’a fait pour les pères, au désert, avec Moïse… mais par le Corps et le Sang du Christ, Dieu se révèle aussi comme le Tout puissant, comme l’Eternel.
Corps et Sang du Christ : Frères, nous dit saint Paul dans la deuxième lecture j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur et je vous l’ai transmis :la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. »
Lors de son dernier repas, Jésus reprend à son compte la bénédiction juive traditionnelle, en y ajoutant un petit quelque chose. Dans ce banquet sacré, les juifs au temps de Jésus célébraient le Dieu Sauveur, on le remerciait, pour avoir fait avec lui une alliance d’amour, conclue dans le sang d’un agneau. Maintenant, c’est Jésus lui-même qui donne sa vie comme l’Agneau de Dieu. Avec des mots simples, il conclut une nouvelle Alliance par son Sang. Et il demande à ses amis : « faites ceci en mémoire de moi » : ça doit durer. Jusqu’à ce jour, ici à Cuvat. Cela doit durer avec cette simplicité que le Christ a tant recherché et voulu, dans sa rencontre avec l’humanité.
« Voici le Pain.
Prenez, mangez-en tous: ceci est mon corps livré pour vous ».
Le P. Cantalamessa, un religieux italien, devenu cardinal, dans ses prédications de Carême au Vatican, racontait sa petite expérience à ce sujet : dans mes premières années comme prêtre, pendant la consécration, tournant le dos à l’assemblée, je fermais les yeux, je baissais la tête, j’essayais de m’éloigner de tout ce qui m’entourait, pour m’identifier à Jésus qui prononçait ces mots pour la première fois : Prenez, mangez… ». La liturgie nous inculquait cette attitude, faisant prononcer ces paroles à voix basse et en latin, penché sur les espèces du pain et du vin. Puis il y a eu Vatican II et la réforme liturgique. On a commencé à célébrer la messe en regardant l’assemblée ; plus en latin, mais dans la langue du peuple. Cela m’a aidé à comprendre que ma première manière de célébrer n’exprimait pas tout le sens de ma participation à la consécration. Ce Jésus du dernier souper au Cénacle n’existait plus ! Le Christ ressuscité existe maintenant : le Christ qui était mort mais qui vit maintenant pour toujours (cf. Ap 1, 18). Le « Christ total », qui est à la fois Tête et Corps inséparablement unis. Donc, si c’est le Christ total qui prononce les paroles de la consécration aujourd’hui, moi aussi je les prononce avec lui. Oui, je les prononce dans la personne du Christ, au nom du Christ, mais aussi en mon nom.
Depuis ce jour où j’ai compris cela, j’ai commencé à ne plus fermer les yeux au moment de la consécration, mais à regarder – au moins dans certaines occasions – les frères devant moi, ou, si je célèbre seul, je pense à ceux que j’ai à rencontrer dans la journée et à qui je dois consacrer mon temps, ou bien je pense à toute l’Église et, en pensant à eux tous, je dis avec Jésus : « Prenez, mangez-en tous : ceci est mon corps que je veux donner pour vous… Prenez, buvez : ceci est mon sang que je veux verser pour vous ».
Plus tard, saint Augustin est venu me débarrasser de tous les doutes. « A l’Eucharistie, dans ce qu’elle offre, l’Église s’offre elle-même ».
Et cela s’applique au prêtre qui célèbre la messe. Mais est-ce que cela ne s’applique qu’à lui ? Non, bien sûr, mais à tous les baptisés. Un texte célèbre du Concile Vatican II le dit ainsi :
Les fidèles eux, de par (leur baptême et) sacerdoce royal qui est le leur, concourent à l’offrande de l’Eucharistie […] Participant au sacrifice eucharistique, qui est la source et le sommet de toute la vie chrétienne, ils offrent à Dieu Jésus qui se donne dans l’Eucharistie et ils s’offrent eux-mêmes avec lui ; ainsi, autant par l’offrande que par la communion, tous prennent leur part (originale) dans la liturgie.
Il y a ainsi deux corps du Christ sur l’autel : il y a son corps réel (né de la Vierge Marie, mort, ressuscité et monté au ciel) et il y a son corps mystique qui est l’assemblée, l’Église réunie. Eh bien, sur l’autel, son corps réel est réellement présent et l’Église, son corps mystique, est mystiquement présent. « Mystiquement » cela signifie : grâce à l’union inséparable du Corps avec la Tête. Il n’y a donc pas de confusion entre les deux présences. Elles sont distinctes mais inséparables.
Il y a donc deux « offrandes » : sur l’autel, il y a celle qui va devenir le corps et le sang du Christ, le pain et le vin, et dans l’assemblée, celle qui doit devenir le corps mystique du Christ. Et sur ces deux offrandes, on invoque le Saint-Esprit. Dans la première, on dit : « Seigneur, envoie ton Esprit pour sanctifier ce pain et ce vin, afin qu’ils deviennent le corps et le sang de Jésus-Christ » ; dans la seconde invocation, on dit : « Envoie sur nous ton Esprit-Saint, afin que nous devenions un seul corps et un seul esprit dans le Christ. Que le Saint-Esprit fasse de nous un sacrifice éternel qui te plaise ».
Voilà. C’est ainsi que l’Eucharistie fait l’Église : en faisant de l’assemblée des chrétiens, une Eucharistie, une offrande. Et à l’extrême, le chrétien n’est pas celui qui célèbre l’Eucharistie, c’est celui qui est Eucharistie, qui offre sa vie, son corps, son sang, parfois, c’est à dire de sa peine, ses soucis et ses misères pour l’Église et le monde, avec Jésus. Que l’Esprit nous aide à comprendre ce mystère et à y prendre notre part. Amen.
Nous pouvons maintenant tirer les conséquences pratiques de cette doctrine pour notre vie quotidienne.
Si dans la consécration c’est nous aussi qui, en pensant à nos frères et sœurs, disons : « Prenez, mangez : ceci est mon corps. Prenez, buvez : ceci est mon sang », il faut savoir ce que signifient « corps » et « sang », pour savoir ce que nous offrons.
Le mot « corps » ne désigne pas, dans la Bible, une composante, ou une partie, de la personne qui, combinée avec les autres composantes que sont l’âme et l’esprit, forment l’être humain complet. Dans le langage biblique, et donc dans celui de Jésus et de Paul, « corps » désigne la personne toute entière, en tant qu’il vit sa vie dans un corps, dans une condition corporelle et mortelle. « Corps » désigne donc l’ensemble de la vie. En instituant l’Eucharistie, Jésus nous a laissé en don toute sa vie, du premier instant de l’incarnation au dernier instant, avec tout ce qui a rempli concrètement cette vie : silence, sueur, labeur, prière, luttes, humiliations.
Puis Jésus dit : « Ceci est mon sang ». Qu’ajoute-t-il avec le mot « sang » s’il nous a déjà donné toute sa vie dans son corps ? Ajoute la mort ! Après nous avoir donné la vie, il nous en donne aussi la partie la plus précieuse, sa mort. En fait, le terme « sang » dans la Bible n’indique pas une partie du corps, c’est-à-dire une partie d’une partie de la personne ; il indique un événement, la mort. Si le sang est le siège de la vie (c’est ce qu’on pensait alors), son « versement » est le signe plastique de la mort. L’Eucharistie est le mystère du corps et du sang du Seigneur, c’est-à-dire de la vie et de la mort du Seigneur !
Maintenant, quant à nous, qu’offrons-nous, en offrant notre corps et notre sang, avec Jésus, à la messe ? Nous offrons, nous aussi, ce que Jésus a offert, la vie et la mort. Avec le mot « corps », nous donnons tout ce qui constitue concrètement la vie que nous menons dans ce monde, notre expérience : le temps, la santé, l’énergie, les compétences, l’affection, peut-être juste un sourire. Avec le mot « sang », nous exprimons nous aussi l’offre de notre mort. Pas nécessairement la mort définitive, ou le martyre pour le Christ ou pour les frères, mais dès à présent, tout ce qui en nous prépare et anticipe la mort : humiliations, échecs, maladies qui immobilisent, limitations dues à l’âge, à la santé : en un mot, tout ce qui nous « mortifie ».
Tout cela exige cependant que, dès que nous sortons de la messe, nous fassions de notre mieux pour nous rendre compte de ce que nous avons dit ; que nous nous efforcions vraiment, avec toutes nos limites, d’offrir à nos frères notre
« corps », c’est-à-dire du temps, de l’énergie, de l’attention ; en un mot, notre vie. Il faut donc qu’après avoir dit aux frères : « Prenez, mangez », nous nous laissions vraiment « manger » et nous laissions manger surtout par ceux qui ne le font pas avec toute la délicatesse et la grâce que l’on attendrait. Sur le chemin de Rome pour y mourir martyr, saint Ignace d’Antioche écrivit : « Je suis le froment du Christ : que je sois moulu des dents des bêtes, pour devenir du pain pur pour le Seigneur[8] ». Chacun de nous, si l’on regarde bien autour de soi, a ces dents acérées des foires qui le broient : ce sont les critiques, les contrastes, les oppositions cachées ou manifestes, les divergences de vues avec ceux qui nous entourent, la diversité des caractères.
Essayons d’imaginer ce qui se passerait si nous célébrions la messe avec cette participation personnelle, si nous disions tous vraiment, au moment de la consécration, les uns à voix haute et les autres en silence, selon le ministère de chacun : « Prenez, mangez ». Un prêtre, un curé et, plus encore, un évêque, célèbre ainsi sa messe, puis s’en va : il prie, prêche, écoute les confessions, reçoit, visite les malades, écoute, enseigne… Sa journée est aussi l’Eucharistie. Un grand maître spirituel français, Pierre Olivaint (1816-1871), disait : « Le matin, moi prêtre Jésus victime ; le long du jour, Jésus prêtre, moi victime ». Ainsi un prêtre imite le « Bon Pasteur », car il donne vraiment sa vie pour ses brebis.
Notre signature sur le cadeau
Je voudrais résumer, à l’aide d’un exemple humain, ce qui se passe dans la célébration eucharistique. Pensons à une famille nombreuse dans laquelle il y a un fils, le premier-né, qui admire et aime son père au-delà de toute mesure. Pour son anniversaire, il souhaite lui offrir un cadeau précieux. Avant de le lui présenter, cependant, il demande secrètement à tous ses frères et sœurs d’apposer leur signature sur le cadeau. Celui-ci arrive donc entre les mains du père comme signe de l’amour de tous ses enfants, sans distinction, même si, en réalité, un seul en a payé le prix.
C’est ce qui se passe dans le sacrifice eucharistique. Jésus admire et aime infiniment notre Père céleste. Il veut lui offrir chaque jour, jusqu’à la fin du monde, le cadeau le plus précieux auquel on puisse penser, celui de sa propre vie. A la messe, il invite tous ses frères et sœurs à apposer leur signature sur le don, afin qu’il parvienne à Dieu le Père comme le don indistinct de tous ses enfants, même si un seul a payé le prix de ce don. Et quel prix !
Notre signature, ce sont les quelques gouttes d’eau qui se mélangent au vin dans la coupe. Elles ne sont rien d’autre que de l’eau, mais mélangés dans le calice, elles deviennent une seule boisson. La signature de tous est l’Amen solennel que l’assemblée prononce, ou chante, à la fin de la doxologie : « Par lui, avec lui et en lui, à toi, Dieu le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire, pour les siècles des siècles, AMEN ! »
Nous savons que ceux qui ont signé un engagement ont le devoir d’honorer leur signature. Cela signifie qu’à la sortie de la messe, nous devons nous aussi faire de notre vie un don d’amour au Père et à nos frères et sœurs. Je le redis, nous ne sommes pas seulement appelés à célébrer l’Eucharistie, mais aussi à nous faire Eucharistie. Que Dieu nous aide à le réaliser !
P. Gilles