Homélies du père Cyrille SAM
Homélie du Père Cyrille Sam - Pentecôte - 15 mai 2016
Jn 14 (15-16.23-26)
Le problème avec un esprit en général, et l’Esprit-Saint en particulier, c’est qu’on ne le voit pas, on ne l’entend pas, on ne le maîtrise pas. Un esprit est insaisissable. Un esprit, c’est caché, ou alors ce n’est pas un esprit. Vous me direz que rien n’empêche un esprit de se manifester, et que d’ailleurs, c’est à ce moment-là que ça devient excitant. N’est-ce pas l’expérience des apôtres à la Pentecôte ? Le violent coup de vent, les langues de feu qui se divisent et se posent comme des mitres sur la tête de chacun. L’annonce de l’Évangile aux pèlerins de Jérusalem venant de toutes les nations, dans toutes les langues. Ça, c’est l’Esprit-Saint comme on l’aime : ça déborde d’allégresse et d’entrain, la vie dans le Christ avance, et l’on ne voit pas bien, dans ces conditions, ce qui pourrait arrêter l’Évangile. Et cet Evangile, cette Eglise aujourd’hui passe par chacun et chacune de nous pour se frayer un chemin. Un chemin d’amour, de paix, de tolérance, de fraternité, de générosité. Voilà ce dont nous sommes porteurs en cette fête de la Pentecôte.
Ce feu qui tombe du ciel est une révélation toute intérieure et très personnelle. Une révélation qui parle au cœur de chacun dans le secret de sa méditation le plus intime. A chacun Dieu parle par son Esprit. Ce que nous célébrons aujourd’hui, ce n’est pas seulement cet extraordinaire événement qui a eu lieu à Jérusalem au temps des Apôtres, ce que nous fêtons ce n’est rien moins que la venue personnelle de Dieu, Esprit-Saint, en chacun de ses fidèles. A chacun, il révèle ce dont il a besoin pour vivre en communion avec Dieu, et pour orienter sa vie.
C’est lui qui a parlé au cœur de Marie, comme il a parlé au cœur de Joseph, et qui leur a dit ce que Dieu attendait d’eux. C’est lui qui a parlé au cœur de Paul sur le chemin de Damas. Il lui a révélé des secrets qui nourriront toute sa vie et sa mission. C’est lui qui parle en nos cœurs, qui nous révèle que Jésus est Christ, lui qui nous donne de l’aimer et de le prier. Il parle aux enfants comme il parle aux vieillards, réservant à chacun la révélation dont il a besoin. Et c’est toujours lui, cet esprit de force et de feu, qui nous soutient au moment de l’épreuve, qui nous console, qui ravive notre espérance et qui nous révèle que même un malheur peut être vécu comme une grâce.
L’attitude face à la Pentecôte consiste à accourir au Cénacle pour se livrer tout entier à l’Esprit-Saint. Voilà ce que l’Église nous propose aujourd’hui : être plongés dans l’Esprit-Saint comme au jour de la Pentecôte. Et alors, tout à coup, la création et l’Église apparaissent sous un jour nouveau, la création et l’Église apparaissent comme façonnées, pétries, pénétrées par l’action de l’Esprit-Saint. Depuis la première Pentecôte, une grâce unique a été donnée aux chrétiens : parce que par l’Esprit-Saint en nos cœurs, nous sommes capables de voir les traces de son œuvre. L’Esprit-Saint a d’abord laissé son empreinte, sa marque de fabrique dans la création. Ses noms sont Vie, Don, Amour, et tous l’univers reflète quelque chose de ces noms.
L’Esprit est Amour : Dieu aurait pu créer un univers statique, immobile, où chaque chose reste sans contact avec les autres. Eh bien non : il y a une espèce de loi d’attraction universelle, qui régit les mouvements des planètes, qui ordonne les rapports des êtres vivants entre eux, qui fait de l’amitié et de l’amour l’essentiel de la vie des hommes.
L’Esprit est Vie : Dieu aurait pu créer un univers amorphe, stérile, où chaque chose avance sans but et sans finalité. Eh bien non : il y a un foisonnement infini et constamment entretenu dans la création, une puissance vitale qui anime la nature, qui fait jaillir les sources et les fleurs, qui conduit l’homme à chérir la vie comme son bien le plus précieux.
L’Esprit est Don : Dieu aurait pu créer un univers égoïste, où chaque chose accumule ce qu’elle reçoit sans jamais chercher à transmettre. Eh bien non : il y a comme une loi universelle du rayonnement, de la diffusion de soi. Le soleil est fait pour luire, les vivants pour donner la vie, les sociétés pour transmettre une culture, les chrétiens pour répandre la joie d’aimer leur créateur.
Mais l’Esprit-Saint fait plus encore que laisser son empreinte. Il vient s’unir aux hommes pour leur donner la vie même de Dieu, pour transfigurer leur cœur de l’Amour de Dieu. Cela a commencé avec la Révélation, lorsque l’Esprit a parlé par les prophètes, lorsqu’il a fécondé la Vierge Marie, lorsqu’il a rempli l’humanité du Christ de ses dons et de sa grâce, lorsqu’il est descendu sur les apôtres, lorsqu’il vient, aujourd’hui, dans les sacrements, dans l’écoute de la Parole de Dieu, ou encore en suscitant de nouveaux saints qui répandront la lumière de l’Évangile dans le monde. En tout cela, dans chaque visite que Dieu nous fait lorsque nous lui sommes unis par les sacrements et la vie de foi, d’espérance et de charité, l’Esprit-Saint nous introduit dans la vie même de Dieu. Il suscite en nous cette parole que seul le Fils unique peut prononcer : « Père ». Il réalise en nous, dans le temps, ce qu’il est éternellement dans le mystère de la Trinité : l’Esprit qui unit le Père et le Fils, L’Esprit qui nous unit les uns autres.
Esprit Saint, unis-nous les uns aux autres, soutient et fortifie la foi de tous les baptisés, remplis-nous de ta force d’amour. Amen !
Abbé Cyrille SAM
Homélie du Père Cyrille Sam - guérison d'un lépreux - 15 février 2015
Mc I (40-45)
Des lépreux et des lépreuses, il en existe encore aujourd'hui. La première catégorie n’existe peut-être pas dans cette assemblée, mais la seconde catégorie doit certainement nous concerner tous.
Il y a d'abord celles et ceux atteints par cette horrible maladie et qui vivent principalement à travers tous ces pays dits pauvres. Et puis il y a tous les autres. Tous ceux et celles que nous avons enfermés, emprisonnés dans des catégories bien précises au nom de leurs différences. Ils sont là et bien nombreux. Et ces derniers, nous n'arrivons jamais à nous en débarrasser. Ils portent les noms de nos exclusions. Nous pourrions appeler cette maladie la lèpre sociale. Maladie d'autant plus surprenante que, de nos jours où tout le monde se plaît à parler de mondialisation et de communication, nous prétendons volontiers que toutes les frontières ont été abolies. Et pourtant, si nous osons regarder la réalité en face, que de frontières à nouveau tracées, que de murs à nouveau bétonnés entre les ethnies, les minorités, les nationalités, voire même entre voisins d'un même quartier. Également, frontières des avoirs et des savoirs. Un besoin de sécurité face à la peur de l'autre, de la différence.
Ainsi, en ce dimanche, saint Marc, en nous racontant la guérison du lépreux, ne nous fournit aucun détail : où ça s'est-il produit ? Quel jour ? Comment s'appelait ce malade ? … Marc sait que les précisions les plus détaillées ne pourraient convertir le sceptique. Il rédige son récit pour que je me rende compte que c'est moi le lépreux et que le Seigneur peut et veut me guérir aujourd'hui, si je l'implore.
Soudain une silhouette se profile sur la route. De son isolement où il était séquestré, un grand malade vient à la rencontre de ce guérisseur dont il a entendu parler. Il aurait pu, comme d'autres, se résigner à l'inéluctable, demeurer dans son état en soupirant : « De toutes façons il n'y a rien à faire ». Non ! Il ose tenter la démarche. Au lieu de se laisser « couler » dans son horreur, il croit que Jésus peut « le repêcher ». Se tenant à quelque distance, « il vient vers … tombe à genoux... il le supplie ... ». Oser montrer sa laideur, refuser la fatalité du destin, parier que pour Jésus, je ne suis pas un incurable : ce comportement est plus dur que l'on ne pense ! L'horreur du plus grand crime n'équivaudra jamais à l'immensité de l’amour du Christ manifesté au Golgotha. Depuis ce jour, nul désespoir n'est définitif. A la fin de l'Evangile, Judas n'aura pas ce courage et s'abîmera dans le désespoir, faute plus grave que la trahison elle-même. Soyons des hommes de confiance, Jésus n’est venu que pour nous sauver.
La lèpre, comme vous le savez, était considérée par les Juifs de l'époque comme une maladie particulièrement honteuse, la marque du péché même. Il était courant de comparer la lèpre au péché. En effet on remarque entre les deux de grandes similitudes.
L'infection de la lèpre commence sans qu'on y prête grande attention : petit bouton anodin, tache indolore. Peu à peu la tache s'agrandit, le mal infecte les alentours. On se dit que ça va passer. Le voisin vous rassure : il a eu la même chose et il en est sorti. Le chatouillement ou la souffrance s'aiguisent : on se rend chez le pharmacien, on applique un remède sans résultat. Puis un autre tout aussi inefficace. Après un temps, on prend conscience que le mal est plus grave qu'on ne pensait, la purulence s'est aggravée, la pourriture apparaît.
De la même façon, le péché débute souvent par une pensée, une action sans guère d'importance. On pressent vaguement que l'on n'agit pas bien mais, on ne fait pas beaucoup de mal, c'est pour rire, les autres en font autant.... Cependant l'infraction devient habitude : ce que l'on a fait à l'occasion, on le réitère et petit à petit cela devient une habitude, une accoutumance. Un jour vient où l'on en prend conscience : on voudrait se corriger, revenir en arrière, se débarrasser de ce penchant. Peine perdue : en dépit des bonnes résolutions, on cède et on rechute encore et encore. On est prisonnier. Ainsi l'âme se corrompt, comme rongée d'une lèpre sournoise : elle devient impure, souillée et la volonté est devenue impuissante à endiguer le flux des tentations. Et peu à peu, parce que vous êtes devenu insupportable, les autres vous mettent à l'écart, vous refusent leur compagnie, vous rejettent avec mépris, parfois vous enferment parce que vous êtes devenu dangereux.
Le lépreux est une image enlaidie de la condition humaine. Il fallait de toute urgence éloigner les lépreux de la société : aussi ces malheureux « impurs », excommuniés, étaient condamnés à la solitude où ils se regroupaient, compagnons d’infortune qui ne pouvaient circuler qu’en signalant de loin leur présence aux passants. « JE LE VEUX : SOIS PURIFIE. » La volonté de Dieu n'est pas de châtier, mais de pardonner, si hideux soit le crime, si nombreuses les rechutes. Un mot suffit ! Saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux : sois purifié». À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié.
Par ce geste de tendresse, Jésus nous révèle la profondeur du cœur de Dieu. Dieu ne supporte pas le mépris, la haine, le rejet, l'exclusion, le déni d'amour. Depuis en Jésus, Dieu a pris visage d'homme pour montrer, avec la plus grande vérité possible, que la seule image de Dieu est le visage d'un homme et d'une femme : visage où se lit la beauté de la création, la bonté du dessein du créateur, la grandeur du créé. Dieu est plein de douceur et de compassion. La réaction de Dieu devant tout être humain n'est pas la haine, la condamnation ou l'incitation à la violence. Elle est tressaillement du cœur, compassion vraie, tendresse exprimée. Elle est aussi humble et silencieuse : « Ne dis rien à personne ! »
Dieu nous a faits libres et responsables : c'est à nous aujourd’hui de nous révolter contre la lèpre et tout ce qui écrase, abîme, déchire l'humanité. Nous sommes invités à imiter Jésus, à écouter les cris des exclus, à ne pas fuir les horreurs, à reprendre contact avec les éliminés, à tendre la main. On l'a dit : si nous consacrions à la lutte contre la lèpre, le cancer, le sida, les sommes gigantesques investies dans la course aux armements, il y a longtemps que ces maux seraient extirpés.
Ne perdons cependant pas l'espoir, Jésus vient abattre les frontières, les barrières que nous avons construites. Face à l'exclu de son temps, le Christ tisse notre humanité avec le fil de l'amour. Il va au-delà des préjugés de son époque, il se laisse rencontrer par un rejeté et mieux encore, il étendit la main et le toucha.
Puissions-nous aussi, à l'exemple de Jésus, partir à la rencontre de celles et ceux que nous avons nous-mêmes enfermés dans des catégories d'exclusion pour apprendre à les découvrir, les apprécier, ou mieux encore, les aimer. Si nous y arrivons, alors notre foi nous aura transformés.