Libérer son regard
Le texte de l’aveugle-né du 4ème dimanche de Carême, est un texte frappant dans l’évangile car basé sur un paradoxe :
- les aveugles ne sont pas ceux que l’on croit et celui qui voit n’est pas celui auquel on s’attend,
- les aveugles, ce sont d’abord les disciples : quand ils voient un aveugle, ils se demandent quel est son péché : « Est-ce lui qui a péché ou bien ses parents ? »,
- les aveugles, ce sont aussi les pharisiens : même face à un aveugle qui voit, ils restent focalisés sur le péché et refusent de voir : « Tu es tout entier plongé dans le péché depuis ta naissance. »,
- les aveugles, ce sont les parents de l’aveugle-né : ils ne veulent pas voir car ils ont peur des autres : « Comment il peut voir à présent nous ne le savons pas ».
Beaucoup d’aveugles dans ce récit, beaucoup d’hypocrisie, de peurs, de préjugés, mais un seul voyant : l’aveugle-né ! Lui seul est capable de reconnaître qui est Jésus et de dire : « Je crois », qui signifie ici : « Je vois ». Alors que voyons-nous ?
Ce texte est une excellente illustration de ce qu’un athée pourrait reprocher à des gens de religion : votre religion sert à exclure et à réduire l’autre à un stéréotype. La Samaritaine et l’aveugle-né n’ont rien en commun excepté qu’aux yeux de la Loi : ils sont pécheurs ! Je n’ai donc pas à avoir de considération pour eux, ou de respect, ni même à les écouter, à cause de ma foi qui me dit qu’ils sont pécheurs. Même quand la réalité vient me contredire, je préfère rester accroché à ma « prétendue » foi. Cela peut se faire de manière tout à fait gentille et respectueuse comme les disciples qui se demandent d’où vient le péché. Mais aussi de manière agressive ou virulente comme les pharisiens. La foi en Christ est accueil et elle guérit.
Le mode de guérison employé par Jésus est d’ailleurs étrange et révélateur : il fait de la boue avec de la salive et il l’applique sur les yeux de l’aveugle. Ce geste est comme une réponse au problème du péché qui aveugle tant les disciples et les pharisiens : ce n’est pas une prière qui guérit mais de la boue. … Cette boue rappelle aussi celle dont nous sommes tous issus, celle avec laquelle Dieu modela l’homme dans le second récit de la création. Cette boue nous rappelle qu’avant de juger et d’exclure l’autre parce qu’il est pécheur, nous sommes tous frères et nous n’avons qu’un seul et même créateur et qu’un seul et même juge : Dieu. Jésus rétablit la dignité de ceux à qui il s’adresse. Il en fait des disciples et des témoins. Eux que l’on pensait pécheurs deviennent les dépositaires de la Parole et non les apôtres !
L’aveugle-né nous invite à la conversion de notre regard et de notre foi. Christ guérit et sauve celui qui se reconnaît pécheur, celui qui se reconnaît aveugle, celui qui accepte de laisser son regard être transformé. Le regard que pose Jésus sur le monde n’est pas un regard qui juge et condamne, alors même qu’il est le seul juge.
Le regard de Jésus n’exclut personne et va même vers celui que nous excluons naturellement comme les disciples ou les pharisiens.
Paradoxalement, Jésus nous invite à nous reconnaître aveugles pour être capables de recevoir la vraie lumière. La lumière de la résurrection ne peut atteindre que celui qui est dans les ténèbres, que celui qui accepte de se remettre en question. Et cette remise en question peut aller jusqu’à ma propre foi quand elle s’oppose au regard d’amour que pose Dieu sur l’humanité : qui es-tu pour juger ton frère ? On ne nous demande pas de définir qui est pécheur ou non, on nous demande simplement de dire sur le chemin vers Pâques : Seigneur, je suis l’aveugle sur le chemin, guéris-moi, je veux te voir !
Damien STAMPERS